Dossier «L'Affaire du RER D» — Le Monde | ![]() | ![]() |
L'agression à caractère antisémite d'une jeune femme et de son bébé dans le RER suscite l'indignation générale, après l'appel au "sursaut républicain" lancé par Jacques Chirac contre les actes racistes en France. L'ensemble de la classe politique a exprimé son indignation.
"Je demande que tout soit mis en œuvre pour retrouver les auteurs de cet acte honteux afin qu'ils soient jugés et condamnés avec toute la sévérité qui s'impose", a déclaré le chef de l'Etat dans un communiqué, en exprimant son "effroi".
Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, a lancé un appel à témoins pour retrouver les agresseurs, en soulignant qu'il faut que "des sanctions sévères et exemplaires soient prononcées dans un objectif dissuasif". Nicole Guedj s'est entretenue dimanche soir par téléphone avec la victime.
Le ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, a, pour sa part, "donné instruction aux services de police de retrouver les auteurs dans les plus brefs délais". L'affaire a été confiée à la police judiciaire de Versailles, dans les Yvelines. Le ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, a condamné samedi "avec la plus grande fermeté" l'agression "ignoble" contre la jeune femme.
Le président de l'UDF, François Bayrou, a estimé que cette agression est "un pas de plus dans une escalade", relevant qu'il y a eu "140 actes antisémites depuis le début de l'année", soit "une progression de 50 % en un an". Pour lui, "il est plus urgent encore de travailler à rendre du sens à la société dans laquelle nous vivons, avec détermination, ordre et volonté partagée".
Le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, et l'ensemble des députés ont exprimé, dimanche matin, leur indignation. "Au nom du gouvernement, je voudrais dire combien la haine, l'antisémitisme, le racisme et la xénophobie sont certainement les pires dérives mortelles pour notre démocratie", a-t-il déclaré.
Le président de l'Assemblée, Jean-Louis Debré, a, quant à lui, exprimé au nom de tous les députés "la révolte devant ces actes ignobles". "La France ne peut accepter passivement de tels agissements parce que c'est l'âme et la tradition de notre pays qui est visée", a dit l'ancien ministre de l'intérieur.
Le président de l'UMP, Alain Juppé, a dénoncé une "agression odieuse et barbare". Hervé Mariton, au nom du groupe UMP, Jean-Marie Le Guen, au nom du groupe socialiste, et Jacques Brunhes, au nom du groupe communiste et républicain, avaient auparavant pris la parole pour stigmatiser cette agression.
Deux rassemblements de protestation sont prévus lundi à 18 heures, l'un au métro Belleville à l'appel du Parti communiste, l'autre au conseil régional d'Ile-de-France à l'appel du président socialiste de la région, Jean-Paul Huchon. Devant l'inertie des autres voyageurs, Jean-Paul Huchon a estimé qu'il y avait là un double scandale : "La France, pendant la guerre de 40, a été le seul pays qui ait donné des enfants à déporter. Et maintenant on laisse des gens se faire attaquer comme ça sans réagir, sans rien faire."
Dominique Strauss Kahn, député PS du Val-d'Oise, et François Pupponi, maire PS de Sarcelles, ont dénoncé dans un communiqué commun "la lâcheté des agresseurs qui s'en sont pris à une mère de famille sans défense", et ont déploré "la passivité des passagers qui ne sont pas intervenus pour porter assistance aux deux victimes". "Il incombe au premier ministre et au ministre de l'intérieur de mettre en œuvre tous les moyens de la République pour que la sanction la plus exemplaire, la plus sévère leur soit infligée", ont-ils conclu.
Pour Jean-Christophe Cambadélis, du PS, "là où il existait dans les années 1930 un antisémitisme biologique se substitue aujourd'hui un antisémitisme géographique". "Pour faire barrage à la montée malheureusement inexorable de ce nouveau mal, l'ensemble des élus doit se mobiliser pour dire 'Assez, assez d'actes antisémites'".
Julien Dray, porte-parole du PS, a évoqué dimanche "un climat très grave" en France et "l'installation d'une partie de la population dans un antisémitisme au quotidien", en soulignant que "les agressions augmentent" et qu'"il y a peu de sanctions judiciaires". "Quand un juif est agressé en France, c'est la France qui est agressée, et c'est la France qui doit se donner tous les moyens de le défendre, par une attitude très ferme", a poursuivi M. Dray. Evoquant "le silence" des passagers, il a déclaré : "Si le citoyen français n'est pas en première ligne dans ce combat-là, alors malheureusement, ce sont les racistes et les antisémites qui gagneront."
Ces passagers "sont-ils devenus sourds, au lendemain de l'appel du chef de l'Etat, au Chambon-sur-Lignon ?", s'est interrogé Jean-Michel Rosenfeld, adjoint au maire PS du 20e arrondissement de Paris.
L'ancienne ministre PS de la justice, Elisabeth Guigou, a demandé que Jacques Chirac "exige que le gouvernement mette des moyens sans précédent pour retrouver les agresseurs". Pour Mme Guigou, ces actes sont "symboliquement plus graves encore que les croix gammées dans les tombes des cimetières puisque c'est sur une personne". Elle a proposé la création "d'un comité de lutte contre les actes antisémites qui rassemblerait les partis politiques, les associations".
Le député Vert de Gironde, Noël Mamère, s'est dit "consterné par l'apathie et le silence des passagers qui ne sont pas venus en aide à cette dame". "Cette situation prouve bien que l'antisémitisme est aujourd'hui très répandu dans notre pays, qu'il a encore gagné du terrain et qu'il doit donc faire l'objet d'un sursaut républicain et d'un traitement particulier", a-t-il ajouté. "Quand les sociétés sont malades, a poursuivi le député de la Gironde, la figure du juif revient toujours comme le bouc émissaire de nos propres peurs. C'est la raison pour laquelle il faut s'attaquer à cette forme de racisme en toute priorité."
Yves Contassot, des Verts, a estimé que "rien ne peut justifier de tels agissements. (...) Les Verts appellent toutes les communautés et tout particulièrement les communautés juive et arabe à refuser l'escalade de la violence et au contraire à rechercher le dialogue pour une coexistence pacifique, basée sur la tolérance et le respect de l'autre".
Anne Hidalgo (PS) a condamné "l'ignoble agression", alors que la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, pointait des actes "barbares". Le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, a condamné "l'agression sauvage et antisémite". La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a souligné que cette agression "antisémite s'inscrit dans la lignée insupportable des violences faites aux femmes".
"ON NE PEUT PLUS UNIQUEMENT S'INDIGNER"
"Il y a une urgence à dire qu'on ne peut plus s'arrêter uniquement à des incantations, on ne peut plus uniquement s'indigner, a souligné, de son côté, Mouloud Aounit, secrétaire général du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples). Il y a une urgence absolue à remettre par la force de la loi les bornes que toute démocratie doit se donner pour éviter le développement de ce type d'acte." Quant à SOS-Racisme, l'association considère que "la barbarie devient récurrente dans notre pays et doit être combattue avec la plus grande sévérité", et demande à "être reçue d'urgence par le comité interministériel de lutte contre l'antisémitisme".
Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), a exprimé sa "condamnation la plus formelle, la plus sévère". "Les faits peuvent prêter à amalgame, à confusion et salir une communauté alors qu'elle se défend formellement de toute implication, de toute sympathie à l'égard de faits aussi odieux", a souligné le recteur de la Mosquée de Paris. Pour le président du CFCM, cet acte relève de la "voyoucratie".
Le Conseil des démocrates musulmans de France (CDMF) a également "condamné l'agression commise par cette horde de barbares, qui défigure la France plurielle et ses valeurs républicaines". "Les discours ambigus, les condamnations frileuses, les divisions des composantes religieuses ou ethniques ont permis dans notre pays la réapparition et la montée de groupuscules de nazillons et de racistes", a ajouté le CDMF.
"Ce qui me frappe, c'est l'indifférence et la banalisation dans l'opinion publique face au phénomène antisémite", a insisté, pour sa part, Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France, parlant de "gangrène". "Les maires des cités, les dignitaires religieux, doivent s'exprimer dans leur quartier pour dire aux jeunes que l'antisémitisme est un délit grave", a-t-il appelé.
La section française du Congrès juif mondial a demandé un plan de lutte "à l'instar du plan vigipirate". Pour la Licra, "le constat est lourd : témoins passifs, voire indifférents, à l'opposé de la vigilance demandée par le chef de l'Etat". "Le temps est venu de la mobilisation de tout le pays pour affronter ceux qui menacent la paix civile", ajoute-t-elle.
La FSU (Fédération syndicale unitaire) a souligné que "c'est à l'ensemble des citoyens que revient la responsabilité de combattre tout processus d'enracinement de la haine et du rejet de l'autre". La principale fédération syndicale de l'enseignement "attend par ailleurs qu'au-delà des appels à l'union des Français, comme celui lancé par le chef de l'Etat au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, une réponse politique d'ensemble soit donnée". "Il est grand temps que les pouvoirs publics prennent la mesure des effets catastrophiques des diverses discriminations qui touchent aujourd'hui les populations géographiquement et socialement exclues", et qui sont le "terreau" du communautarisme et "d'inadmissibles logiques de boucs émissaires", conclut la FSU.
LA SOLIDARITÉ CONTRE LA PEUR
Cinq obédiences maçonniques ont déclaré dimanche qu'"il ne suffit pas de condamner ou de se rassembler sous le coup d'une légitime émotion pour affirmer nos valeurs, il faut que chacun ait le courage, à la place où il se trouve, d'en assumer la responsabilité". Ce communiqué commun du Grand Orient de France, de la Grande Loge féminine de France, de la Grande Loge traditionnelle et symbolique Opéra, de la Grande Loge mixte universelle et de la Grande Loge mixte de France s'adresse aux "éducateurs, familles, juges, politiques... citoyens". Les francs-maçons soulignent que "sans solidarité face à elle, la peur de la violence nous conduira tous à en être les victimes".
La presse parisienne de lundi relaie unanimement l'émotion suscitée et interpelle l'opinion face à la montée de cette "gangrène" dans le pays. Pour les éditorialistes, cette agression survenue vendredi sur la ligne du RER D s'inscrit dans un contexte lourd, marqué par la recrudescence des actes racistes en France.
"Antisémitisme, une histoire française", titre en "une" le quotidien Libération, qui parle d'un "fait divers monstrueux parce qu'il confirme la gangrène qui se répand dans la société française". "Antisémitisme, antisionisme, anticapitalisme mêlés comme aux pires heures de l'Histoire (...), voilà qui devrait finir de dessiller les yeux sur la réalité des manifestations antisémites dans la France d'aujourd'hui", écrit l'éditorialiste du journal.
Libération fustige également, comme tous les autres quotidiens parisiens, l'indifférence des passagers témoins passifs de l'agression. "Si personne n'est tenu de jouer au héros, face à une bande armée, rien n'excuse l'indifférence, (...) qui ramène là encore aux heures sans gloire d'un pays qui a laissé sa police rafler les juifs et prétendait alors ne rien savoir de leur destinée", écrit le journal.
Aujourd'hui/Le Parisien consacre aussi sa première page à cette "révoltante agression". "Une fois encore, une fois de trop, la France se retrouve confrontée à l'ignominie d'une agression antisémite", écrit-il.
Le Figaro évoque longuement l'affaire du "train de la haine" et dénonce la passivité de témoins qui n'ont pas eu "le courage minimum" de tirer le signal d'alarme. "Leur silence est terrifiant, comme si la société française ne voulait pas voir ce qui se passe sous ses yeux", estime le journal dans son éditorial.
Pour L'Humanité, "aucune colère ne peut expliquer et encore moins justifier que des actes de stigmatisation et de violence soient commis contre des hommes et des femmes, au prétexte d'événements qui leurs sont étrangers, fussent-ils les plus dramatiques, au Proche-Orient ou ailleurs".
Avec AFP et Reuters